mardi 27 avril 2010

Celui-ci

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Celui-ci parle seul… il ne cesse de parler… il ne cesse de marcher de long en large… et il parle, il parle… il marmonne des phrases inaudibles et décousues… des mots en morceaux qu’il lui faudrait rapiécer pour dire enfin son grand secret… sa grande douleur et son malheur…

Il parle, il parle et dit des mots de-ci de-là … des mots hachés, des mots blessés et martelés … Ceux qui ont entendu, disent qu’il parle de maison et de jardin… de maison qu’il n’habite plus et de jardin qu’il ne cultive pas non plus…

Il tourne et vire et il marmonne et il s’arrête et il s’étonne que tu sois là et que tu passes, que tu t’arrêtes et le regardes … il te sourit et te regarde et il te parle… enfin te dit en un seul jet, en une seule fois : « Tu t’en vas ? » … « Tu vas où ? » … « Tu vas faire quoi ? » … « Tu reviens quand ? » … et puis un sourire illumine son visage et il s’en va, n’attendant pas que tu répondes à ses questions stéréotypées et convenues, si toute fois il y a réponse…

Il s’en retourne et tourne, vire et se répète ses mots secrets, un peu salés au coin des lèvres poudre de lait… des mots d’amour abandonnés dans un mouchoir de fil blanc, un peu froissés, un peu défaits, un peu fripés et chiffonnés dans ce carré de coton blanc bien repassé… et bien plié dans une poche où plus rien n’entre… pas même une bille ou un caillou, ou un soleil papier bonbon… un bout de ficelle pour lacer les sentiments…

Il marche, les mains derrière le dos et se récite une litanie… celle de Satan qui sait ? peut-être… peut-être oui… peut-être non… Il se méfie et reste loin des plus malins, des plus rusés, qui guettent l’instant où il laissera choir ses émotions…
Il va, il vient … et se souvient et se panique… et nerveusement se gratte le front, se frotte les mains, dans un rictus claque la langue, se pince la joue … puis, son visage se ternit, ses yeux s’éteignent, il ferme sa porte et par une archère fortuite jette son venin… non pour agresser mais pour se protéger du malin… de celui qui veut tout savoir, veut tout entendre et tout comprendre pour en tirer un diagnostic et le parer d’une étiquette… d’une pathologie au nom savant, au nom ardu… il lui prescrira des petits bonbons non sucrés, aux couleurs multiples… des petits cachous et quelques gouttes d’une eau sans vie qui le tasseront, le ceintureront … lui briseront l’âme… l’épuiseront… lui aspireront d’un coup... d’un seul, tout le cerveau… pour en faire un être vide, sans consistance…et sans vie...

Ô Satan, prends pitié de sa longue misère !



(Encre de Chine lavis brun et gouache / Henri Michaux)





4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce "corset de neuroleptiques"... Claude Olivenstein en prescrivait à Marmottan mais dénonçait cette camisole chimique. (La disparition du "psy des drogués" est passée quasiment sous silence).
Frederique

mémoire du silence a dit…

"La disparition du "psy des drogués" est passée quasiment sous silence" ... oui frederique comme pour beaucoup d'autres "inventeurs "découvreurs" "initiateurs" ... tel Deligny dans un autre domaine...

merci pour ton passage et ta marque ici

daphné a dit…

"LA MÉMOIRE DU SILENCE NOUS REND AUX TEMPS IMMÉMORIAUX AUX GRANDES SOLITUDES DE L'ENFANCE" GASTON BACHELARD

J'aimerais connaître la source de cette citation pour la citer dans un ouvrage...

Merci de ce service à l'avance!!!

mémoire du silence a dit…

Allez chercher dans la "Poétique de la rêverie"... dans le chapitre : "Les rêveries vers l'enfance".... vous y trouverez votre bonheur...
>Puis-je vous demander pour quel type d'ouvrage vous travaillez ? tout ce qui se rapporte à Bachelard m'intéresse...