lundi 24 janvier 2011

Hommage au poète de Taizé

à travers deux de ses grands amis :
Jacques Truphémus (le peintre)
et Edmond Jeanneret (le poète)





Pierre Étienne ou la poésie nomade

" J’appelle poète un homme dont la parole respire au rythme de la création et dans la bouche duquel les mots de chaque jour – fanés comme des fleurs – retrouvent leurs couleurs et leurs parfums parce que de nouveau circule en eux une sève qui est notre sang.

Mais cet homme que je vois vivre dans la confidence des pierres, des astres, des sources et des arbres, sentinelle aux écoutes sur cette arête de l’horizon où le ciel se confie à la terre, comment se fait-il qu’il puisse être intérieur à moi et me connaître mieux que je ne me connais ? Car sa parole n’est pas seulement une clef qui m’ouvre le monde : elle m’ouvre à moi-même. Parole princière – ainsi le prince de la Belle-au-Bois – elle pénètre dans ce château qui est notre for intérieur et y réveille une mémoire depuis longtemps endormie : notre moi profond.



Qui lit quelques vers de Pierre Etienne éprouve aussitôt que sa poésie est douée de cette puissance. Dirons-nous que nous sommes devant un grand poète ? A propos de Léon-Paul Fargue Saint John Perse écrit : « Parce qu’il n’est point, en poésie, de grands ni de moins grands poètes, mais seulement de purs ou de moins purs poètes, Fargue, poète de pure naissance, ne saurait être traité de « poète mineur » : il garde sa prérogative auprès des mieux situés de ses aînés, maîtres-d’œuvre accomplis ou fiers comptables de l’esprit. »


Non, il ne saurait être question, ici, de grandeur. N’arrive-t-il pas que les « grands » poètes (leurs grandes orgues !) nous lassent et nous laissent le désir de plus de douceur et d’intimité ? Il me semble qu’il y a quelque chose de plus précieux encore, de plus nécessaire qu’un grand poète : c’est un poète juste, juste et humble, dont la voix ne prend jamais l’ampleur d’un fleuve, car elle garde son murmure et sa fraîcheur de source.

Telle est la poésie du poète de Taizé. Poésie chrétienne ? Si cela signifie que la poésie épouse la foi – certainement. Entre l’une et l’autre, pas de heurt, pas de drame dans l’œuvre de Pierre Etienne. Ses livres sont les enfants de ce couple heureux.


Cependant son premier recueil, L’AVANT SAISON (aujourd’hui épuisé), dénonce la faiblesse irrémédiable, la fausseté de tout langage humain. Mais quel poète n’est pas sans cesse à l’affût du miracle ?

« En petits paquets
en menus troupeaux
les mots

en sombres bouquets
en gluants grumeaux
les mots

lassé de leur ton faux
j’attends qu’enfin s’isole
une parole ».



Livre qui est, comme seront ses puînés, nourri de silence et de contemplation : chaque mot vibre au centre de son silence. Et déjà la voix qui s’affirme ici est d’un timbre si personnel, qu’elle ne s’oublie plus.

LE REMPART DES ILES (lui aussi épuisé) et les deux recueils qui le suivent, nous montrent le poète avançant dans les sables du silence à la recherche, à la rencontre de cette parole dont le monde est le poème, et qui se voile toujours en se révélant. Ainsi le poète est fils d’Abraham, comme lui cheminant dans les ténèbres de la foi vers la nouvelle Terre promise :

« Le nez busqué comme sémite
Chauve sérieux maigre voûté
Il ne te manque qu’un bâton
Pour rythmer ta marche nomade ».

Parole qui se tait ; Parole toujours encore crucifiée, mais qui sait se rappeler à nous et nous ramener à elle quand nous croyons l’avoir perdue :

« Toujours je perds ton visage
Et toujours tu me reviens
A l’instant le moins prévisible
Comme au cours d’un long voyage
S’imprime sur un ciel de sang
Le portrait d’un disparu
Au-dessus d’une mer calme
Près de la ligne de brume
Séparant les deux royaumes ».



Ah ! comme j’aime, aux pages des SENTIERS DU MONDE, suivre le poète aiguillonné par la Promesse et pressentant proche le Royaume, et toujours plus attentif aux énigmes de l’univers par lesquelles l’Invisible nous interpelle et nous interroge :

«Quand le jour somptueux t’aveugle
De tant de feux multipliés
Tu te remets à espérer
Un rayon de la vraie lumière ».


A vrai dire, il n’est pas un poème du poète de Taizé qui ne soit travaillé par le levain de l’espérance :

« Si n’était l’espoir
Du prochain Royaume
Si le Prétendant
N’était apparu
Au pli de l’histoire

Aurions-nous la force
De chanter la vie
Frêle et menacée
Parmi le tumulte
Et les bruits de guerre

Si n’était l’annonce
Emise à mi-voix
Si n’était l’espoir ».




Poésie insaisissable comme la Beauté, et qui nous saisit : dans laquelle le Christ ressuscité est encore en instance de naître, non plus de Marie, mais de la création « en travail d’enfantement » (Romains VIII,22) – comme dans la Marche des Mages d’occident :


« Ciel très bas, plaques de neige
Chercher l’espoir malgré tout.
Tenir bon dans le vent fou
Des songes vains en cortège.

Avancer dans la promesse
Sous la grêle des démentis,
Offrir au froid de la steppe
L’éveil ferme de l’esprit.

Voici Noël sans arpèges
Sur le ciel au front si bas,
L’horizon est feu grégeois :
Christ va naître de la neige ».



Laissons ce dernier vers (chagallien ?) nous imposer silence, comme un doigt sur nos lèvres. "

Edmond Jeanneret / Postface extraite de : Poésie Nomade ... p. 97 à 102














(Peinture : La terrasse en Cévennes : Jacques Truphémus)

9 commentaires:

Gérard Méry a dit…

Je me suis régalé avec les deux vidéo sur le peintre Jacques Truphémus honoré pas le ministre.

maria-d a dit…

Eh oui Gérard ! et non seulement c'est un peintre talentueux, mais c'est aussi un homme extraordinaire... un humaniste.
Qui travaille encore

http://pro.ovh.net/~grangesd/Truphemus.html

jeandler a dit…

Bel et sensible hommage.
La douceur des mots en harmonie avec celle de couleurs. L'amitié se conforte dans les oeuvres croisées. Elle s'y retrouve, plus intime encore, comme à mi-voix.

Estourelle a dit…

Je connaissais Pierre Etienne
mais pas Jacques Truphémus
Je trouve que ses peintures
sont empreintes d'une grande poésie
merci...

camille a dit…

Une fusion amie, sensible et généreuse. Et l'on vous sent très proche de ces "sentiers du monde".
je ne connais ni l'un, ni les autres ; mais vous me donnez envie de chercher.

merci et pensées.

Camille

maria-d a dit…

@ Vous ...

SANS TITRE 1

" Au coeur de l'hiver, quand les soirs sont trop doux vers la fin de janvier (tel un printemps trop précoce), il nous prend de rêver à des rivages autrefois abordés.
Il nous revient, au fond du regard qui communique avec l'âme et le coeur, des visages candides et frais comme des ressuscités.
Il nous semble que tout ce qui se perdait de notre enfance se cristallise tout à coup, et la vie chaude et claire à nouveau nous arrive.
Y aurait-il un passé joyeux ? Les terreurs enfantines sont encore à errer ici et là sous les meubles, elles pourraient venir nous étouffer durant les sommeils mais jusqu'ici

Une permanence de la bénédiction nous a accompagnés (nos anciens auraient parlé d'un ange).
Ainsi au terme d'un voyage, lorsque les lumières d'abord dispersées dans les ténèbres accourent les unes vers les autres
Pour former une immense grappe et vers le centre de la ville une coupe réverbérée en plein ciel,
Toutes les joies d'autrefois, diffuses ou précises, s'agrègent au-dedans, élevant une rumeur comme une revendication pour avoir leur part et se perpétuer dans une réanimation d'allégresse.
Apprendrons-nous la louange ? Dissiperons-nous cette crainte affreuse étranglant nos voix d'hommes cultivés ? Saurons-nous faire monter un cri, grande flamme orangée, déflagration dans la nuit, ébranlement des ténèbres ! "

Pierre Etienne / Lente remontée depuis les rivages (à Jacques Truphémus) 1969


>>>> merci à vous

Estourelle a dit…

Je réponds à ta question dans mon blog
en fait je voulais dire sur Pierre Etienne que je connaissais sa poésie (pas lui personnellement) et c'est par Taizè où j'y ai fais quelques séjours!

Amitié

Anonyme a dit…

(( chanson écrite dans la forêt du Labrador au Québec))

NOUS FÛMES NOMADES CASSANDRE


nous fumes nomades Cassandre
nous fumes nomades Cassandre

hier j’ai dormi
dans la forêt du labrador
j’ai fais un feu
mais j’avais froid
sans toi dehors

nous fumes nomades Cassandre
Nous fumes nomades Cassandre

hier on m’avait
donne deux sandwichs au poulet
j’aurais aimé les partager
tu me manquais

REFRAIN

tes 19 ans Cassandre

c’etait la vie
avant l’barrage de Manic 5

c’etait l’mont Wright Cassandre
avant l’enfer
d’la mine de fer
en plein hiver

c’était surtout
la jeune femelle caribou
et le vieux mâle encore debout

c’etait surtout
la jeune femelle caribou
et le vieux mâle
vagabond fou

COUPLET 2

vieux mâle au doux regard
celui d’monsieur Bernard

qui s’est battu
pour sauver son chalet du feu
avec son fils
4 nuits sans fermer les yeux

c’est fascinant à voir
un bout d’forêt toute noire

y a des souvenirs de jeune femme
qui s’enflamment au fond de soi
se consumant tout comme
un ancien feu de joie

COUPLET 3

debout je marche la vie
debout je prie la vie

pour que la riviêre de tes rêves
soit aussi belle
que la petite Manicouagan

devant laquelle j’écris
la tendresse de mes cris

parce qu’une nuit
t’as pris l’bateau
qui t’a conduite
de Bécomo à Rimouski

Pierrot
vagabond céleste


Pierrot est l'auteur de l'Île de l'éternité de l'instant présent et des Chansons de Pierrot. Il fut cofondateur de la boîte à chanson Aux deux Pierrots. Il fut aussi l'un des tous premiers chansonniers du Saint-Vincent, dans le Vieux-Montréal. Pierre Rochette, poète, chansonnier et compositeur, est présentement sur la route, quelque part avec sa guitare, entre ici et ailleurs...

www.reveursequitables.com

www.enracontantpierrot.blogspot.com

www.demers.qc.ca
chansons de pierrot
paroles et musique
nous fûmes nomades Cassandre

le vagabond celeste
youtube, simon gauthier conteur

mémoire du silence a dit…

Qui que vous soyez, je vous remercie infiniment pour cette découverte et ces liens...
je garde.