samedi 15 janvier 2011

Tunisie ... Poésie ... Poètes ... amis

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Métaphysique de la rose de sable

À chaque fois que je dis " je suis arrivé " une fenêtre s'éteint
et une autre s'allume !
(est-ce le faisceau soyeux d'un éclair qui accouple la nuit à l'ombre
ou est-ce la rose dans la désolation du Sahara
qui se laisse guider par le silex des rois ? )...

A chaque fois que je dis " je suis arrivé ", une fenêtre veillant en pleine lumière,
s'éteint, et aucune chauve-souris n'entame ma nuit, par des ailes de velours.
" Puis-je entrer ? "
- Qui ?!..Personne n'habite cette maison!
- Et la voix que... ?!
- Aucune voix... celle-ci est un temps qui nous traverse comme une ombre...
et, même moi... je ne suis plus là... pour l'écouter.

Viendra-t-elle donc de la nuit qui n'est pas encore venue ?
Le songe me retire du sommeil.
Mon ciel est une pierre que bâtit l'encre de la nuit
Est-t-elle nuit ou lait noir dans ma paume?
Est-elle mer ivre d'eau ou ombre d'une aile à plumes blanches ?

Moi qui vis dans mes doigts,
chaque nuit je dis : " la nuit s'éclaire à la lumière des étoiles éteintes ".
Chaque nuit je descends dans ta nuit sans te croiser.
Chaque nuit je grave dans son mur, ton ombre, pour que je t'oublie.
Rien de ta nuit dans ma main, sauf une faute que j'ai nommée (la) mort
et une ombre endormie dans mes doigts.

Avec les doigts des palmiers, le Sahara nous accueille.
Que nous y entrons !
Toute ombre est aveugle.
Toute branche est source d'eau.
Nous verrons les choses qui saignent dans leurs noms :
ni la rose sait qu'elle est rose
ni le soleil qui cloche sur les dunes
sait qu'il est soleil
ni le Sahara où nous nous laissons guider, par des pas aveugles,
sait qu'il est Sahara
ni toi, sur le croisement de mes routes,
sais que tu es toi.
Cet amour est une cinquième saison entre deux automnes
ni moi, avec toi, sais que je suis moi.


Elle : - La nuit ?
Il : - Enfance du jour.
Elle : - L'ébène ?
Il : - Pin à raisins.
Elle : - L'aube ?
Il : - Ombre et cendre.
Elle : - L'île ?
Il : - Songe d'une mer enivrée d'eau.
Elle : - La mer donc ?
Il : - Le "r" est cloche d'eau qui coule comme ci ...comme ça.
Elle : - Le"m" ?
Il : - Tantôt coquillage éclos
Tantôt pierre close.
Elle : - Le "e" ?
Il : - Nuit de mer pliant sa nuit.
Elle : - La lettre ?
Il : - Ombre de son ou arc d'écho.
Elle : - Le nom ?
Il : - Songe d'une lettre.
Elle : - L'image ?
Il : - Songe d'un nom.
Elle : - Le Sahara ?
Il : - Eau.
Elle : - Qui s’y baigne ?
Il : - Ma soif.
Elle : - La rose de sable ?
Il: -Toi.
Elle: - Qu'est-ce que chuchote l'encre au blanc ?
Il : - La langue muette.
Elle : - La femme ?
Il : - Terre par-delà la nuit.
Elle : - L'ombre ?
Il : - Cendre de lumière.
Elle : - Alors qu'elle demeure pour l'ombre de l'ange qui pend dans la nuit ?
Il : - Ma chanson.
Elle : - Et l'arc-en-ciel qui s'endort chaque automne sur l'épaule de la mosquée...
A quoi songe-t-il ?
Il : - A ce que j'attache dans sa cloche l'ombre de ma chanson.
Elle : - Que demandes-tu à cette nuit ?
Il : - Une foudre… pour que je nourrisse la mémoire du Sahara dans une rose de sable ou dans une graine de sable.
Elle : - Encore ?
Il : - Une foudre... pour que je vois ces herbes blanches dans l'écume des cuisses.
Elle : - Encore ?
Il: - Une foudre… pour que je vois une graine noire de sel qui se rosit dans l'ombre des seins et une eau qui veille dans l'eau.
Elle : - La mort ?
Il : - Fenêtre décorative sur un mur aveugle.
Elle : - .......
Il : - .........

Je demande à la rose :
- Qu'est ce que la mort fait de nous ?
- Elle ouvre des portes sans les fermer
et elle ferme des portes sans les ouvrir.

La rose de sable est un tombeau
où le Sahara naît et meurt.
Serait-il possible donc de tromper
l'eau qui la lave,
le soleil qui l'éteint,
le vent qui en tire de l'or ou des feuilles ?
Serait-il possible d'habiter la mort qui habite la nuit de la rose close ?

La première chose que la nuit allume... c'est nos yeux
et nous veillons dans leurs ombres mêmes...
Les yeux sont la dernière chose que la mort éteint.
Alors tire sur moi - un par un -
tous les rideaux de l'oubli.



Moncef Louhaibi
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lire et signer (si vous le souhaitez) en cliquant sur le lien d'amnesty international

9 commentaires:

jean-jacques a dit…

Merci pour ce texte magnifique
je me permets de vous l'emprunter.
je suis de toute mon âme avec votre peuple et j'ai tellement honte du comportement de "mes" dirigeants...

michel, à franquevaux. a dit…

Qu'est-ce que cette histoire ?
des lettres et des chiffres
des consonnes qui ne sonnent aucune heure
des voyelles qui ne donnent rien à voir

Sophie El Goulli (Vertige solaire)

maria-d a dit…

@ Jean Jacques ... merci pour votre visite et votre partage, bienvenue, ce texte n'est pas de moi, mais de Moncef Louhaibi, donc il ne m'appartient pas, je l'ai moi même emprunté, la poésie n'est-elle pas faite pour cela : passer de mains en mains, de bouche en bouche, ce coeur en coeur, pour dire l'amour et l'universel.
et puis une autre précision, je ne suis pas tunisienne, simplement tout simplement amie des droits de l'homme et des hommes et femmes qui se soulèvent et se rebellent contre l'oppression et les exactions
merci encore à vous.
La photo est une macro de rose de sable ramenée de Tunisie et faite hier pour accompagner ce texte.


@ Michel de Franquevaux...

"La volonté de vivre

Lorsque le peuple un jour veut la vie
Force est au destin de répondre
Aux ténèbres de se dissiper
Aux chaînes de se briser...

Souffle alors un vent violent dans les ravins,
Au sommet des montagnes et sous les arbres
Qui dit :

« Lorsque je tends vers un but
Je me fais porter par l’espoir
Oublie toute prudence
Je n’évite pas les chemins escarpés
Et n’appréhende pas la chute
Dans les flammes brûlantes.
Qui n’aime pas la montagne
Vivra éternellement au fond des vallées » ..."

Abbou el Kacem Chebbi

Kaïkan a dit…

Dans bien des contrées, hommes et femmes se battent pour la liberté ...
Honorons les en pensées accompagnatrices et oeuvrons à notre mesure pour que s'inscrivent en lettres de vie le mot liberté d'être et de penser ...

Gérard Méry a dit…

prions pour que cette rose des sables ne montre pas des épines

sido a dit…

Merci Maria de mettre ainsi à l'honneur l'un de ces poètes méconnus, de nous faire partager ces lignes magnifiques, comme seuls savent les écrire les poètes, les écrivains de l'Orient ; monde fascinant fait de sensibilité,de rêves, d'appel du coeur et de l'esprit.

(Très sensible à la Tunisie pour y avoir des attaches et des souvenirs d'adolescence.)

Bien à vous

jeandler a dit…

Puissent que les lendemains ne déchantent pas...

colette a dit…

Si honte aussi d'être "française" ( si je le suis d'ailleurs) mais fière de ce soulèvement noble et fort, comme beaucoup je prie pour que cette roses des sables ne soit pas trop vite friable

Estourelle a dit…

"La première chose que nos yeux allument...ce sont nos yeux"

Quel magnifique poème
Quel belle chose que la liberté!!
que les tunisiens l'ai regagnée!!
Que d'autres peuples puissent le faire!
que nous le fassions aussi!!
Encore des souhaits!!!