vendredi 17 juin 2011

Lecture - relecture

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« Ô souvenir, l’âme renonce,
Effrayée, à te concevoir. »

Sully Prudhomme






« C’est seulement quand l’âme et l’esprit sont unis dans une rêverie par la rêverie que nous bénéficions de l’union de l’imagination et de la mémoire. C’est dans une telle union que nous pouvons dire que nous revivons notre passé. Notre être passé s’imagine revivre.
Dès lors, pour constituer la poétique d’une enfance évoquée dans une rêverie, il faut donner aux souvenirs leur atmosphère d’image. Pour rendre plus nettes nos réflexions de philosophe sur la rêverie qui se souvient, distinguons quelques centres de polémique entre faits et valeurs psychologiques.
Dans leur primitivité psychique, Imagination et Mémoire apparaissent en un complexe indissoluble. On les analyse mal en les rattachant à la perception. Le passé remémoré n’est pas simplement un passé de la perception. Déjà, puisqu’on se souvient, dans une rêverie le passé se désigne comme valeur d’image. L’imagination colore dès l’origine les tableaux qu’elle aimera à revoir. Pour aller jusqu’aux archives de la mémoire, il faut au-delà des faits retrouver des valeurs. On n’analyse pas la familiarité en comptant des répétitions. Les techniques de la psychologie expérimentale ne peuvent guère envisager une étude de l’imagination considérée en ses valeurs créatrices. Pour revivre les valeurs du passé, il faut rêver, il faut accepter cette grande dilatation psychique qu’est la rêverie, dans la paix d’un grand repos. Alors la Mémoire et l’Imagination rivalisent pour nous rendre les images qui tiennent à notre vie.
En somme, bien dire des faits, dans la positivité de l’histoire d’une vie, c’est la tâche de la mémoire de l’animus. Mais l’animus est l’homme du dehors, l’homme qui a besoin des autres pour penser. Qui nous aidera à retrouver en nous le monde des valeurs psychologiques de l’intimité ? Plus je lis les poètes, plus je trouve de réconfort et de paix dans les rêveries du souvenir. Les poètes nous aident à choyer nos bonheurs d’anima. Naturellement, le poète ne nous dit rien de notre passé positif. Mais par la vertu de la vie imaginée, le poète met en nous une nouvelle lumière : en nos rêveries, nous faisons des tableaux impressionnistes de notre passé. Les poètes nous convainquent que toutes nos rêveries d’enfant méritent d’être recommencées. »


Gaston Bachelard / La poétique de la rêverie / Quadrige PUF… p 89 – 90






(Peinture : I am half-sick of shadows said the Lady of Shalott / John William Waterhouse)

6 commentaires:

jjd a dit…

Sous l'histoire,la mémoire et l'oubli.
Sous la mémoire et l'oubli, la vie.
Mais écrire la vie est une autre histoire.
Inachèvement.

Paul Ricœur

jj dorio a dit…

avec Nerval et Mallarmé


à la nue

tu redis

et pour

l'éternité


LE RÊVE EST UNE SECONDE VIE

jeandler a dit…

La vie est un rêve
prenons garde de nous éveiller

Gérard Méry a dit…

Les poètes sont des peintres de l'imaginaire

J♥♥♥ a dit…

On ne peut se référer ici qu'aux vers de Vandercammen qui figurent en pas de page sous la vidéo de Bachelard :

"Où je croyais me souvenir
Je ne voulais qu'un peu de sel
Me reconnaître et repartir."

E. Vandercammen

et j'ajouterais du même Vandercammen :

"Nos ans ne sont-ils pas des songes minéraux ?"

Kaïkan a dit…

Plaisir de retrouver ici et toi et Gaston Bachelard ;-)) Je mets ton blog en lien sur facebook car j'aime à penser que de nouvelles âmes vont de découvrir encore et encore ... Besos mi Maria ;-))