dimanche 10 juillet 2011

Les enfants de l'ange

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Il avance calmement, il cherche une brindille, une étoile, une espérance, et il trouve un caillou en abandon, en confiance. Il avance sur la route, aveugle et sourd, il se souvient la lumière du monde.

Il prend son bâton, pauvre erre, il est en perdition, ses illusions sont grandes. Il prononce des phrases et épelle les mots, épluche les syllabes qu’il garde sous la langue, bien au chaud, bien en boucle dans la bouche. Son visage est de nacre, la vie est tranquille et glisse sous le pied. Là-bas un enfant pleure, il est seul, il a peur. Il ne se souvient plus qu’un jour on l’a mis au monde. Il ne regarde rien, il ne dit plus rien. Il pleure et se lamente, il a les yeux tout secs.

Et puis, les autres passent, ils le voient, lui sourient et lui posent sur la langue un morceau de rubis. Petite pierre précieuse, petit morceau de viande, rouge comme le sang. Une perle se fait au coin de ses yeux d’or.
Le vent lui mord les doigts, petits fils de paille enivrés sous la main. En été le temps passe doucement, tranquillement, il transpire sous le ciel qui pleure sa maman. Il fait beau. Elle chante, Elle se tait, Elle prie sous le noyer qui berça son enfance. A son pied s’accroche une herbe, celle-là même qui des années plus tôt lui déchira le cœur de sa griffe d’argent.

Ils et elles sont venus par les chemins de sel, ils ont repris la route, ils ont prié le ciel, et ils se sont couchés dans de grands lits tout blancs, dans des draps de lilas, et de rose, et d’herbe au goût de lait. Les parents, les enfants, les petits et les grands ont fait un cercle sûr, avec au centre ses orbes et ses astres de lumière en lisière du ciel. Il veut gratter le temps avec son doigt de cire, il veut et il ne peut, il pleure de nouveau, ses yeux bleus se déchirent.
L’air frais lui peint la joue en rose de porcelaine. Il avance et se penche et se touche la joue du bout de son doigt d’encre.

Les autres sont repartis, ils ont dévoré l’herbe, et le pied du rosier accroché à la terre. Ils ont laissé le pain et le vin, et la piécette blanche qui fond lentement sur la langue. Sa bouche est sèche, poussiéreuse et rugueuse, le silence est entré et lui a frappé la gorge. Un jet d’encre a jailli, un fleuve de poésie en écho à cette langue étrangère et acide qui lui brûlait les lèvres.
Le vent lisse sa bouche, et caresse ses dents, petites pierres de craie qui brillent sous la mousse. Il était de passage, il était un enfant, qui à la nuit tombée avait peur des chimères.

Maintenant il est grand, et son cœur se rappelle qu’il a toujours battu pour Elle. Il se souvient sa mort. Il se souvient sa peine. Il se souvient le trou noir, et lui, la tête dans ses mains. Il se souvient hier, avant sa vie de grand. Tout était si clair, tout était présent, tout était limpide, tout était là dans le creux de sa main et le pli de son cœur, et tout a disparu. Il lui faudra la force, la force de son aîné pour rejoindre la route, le chemin du grand fleuve et partir sur le fil qui respire sous le ciel.

La vérité transpire et s’agite sous le pied, elle s’écrit et s’inscrit à grandes enjambées sur la page du livre. Elle avance en partage, en grande liberté, elle progresse et s’accroche à la ceinture du temps. Sa plume est de ficelle, elle sait courir, voler, et glisser sous le jet des virgules, des voyelles, et des exclamations, des points de suspensions et des lettres sans nom.
L’enfant déchire la page, l’enfant est un fripon, l’enfant est mis en marge, et l’ange le rejoint dans un coin du préau.

Il est en devenir, il va aller plus loin, il est en délivrance sur les chemins sans fin. Il et Elle sont liés sur le fil qui s’étire vers les soirs de sang. Ils posent leur fardeau à l’entrée du jardin, ils ont blessé leurs pieds et mordu leurs souvenirs. Ils ont écrit leur marche, le frisson de l’instant, le doigt de la vieillesse et le rire des moissons. Ils marchent et ils s’en vont, l’un boite l’autre pas, et ils accordent leurs pas au son de leur raison.
Ils sont enfants sans âge, ils se trompent parfois, ils sont enfants pas sages, ils sont enfants de l’ange dans un coin du préau.





(Peinture : L’ange déchu (détail) / Alexandre Cabanel)

11 commentaires:

pierre a dit…

Une gueule d'ange : Rimbaud

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot soudain devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!
Mon unique culotte avait un large trou.
Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur!

jeanne a dit…

il y atellement de choses dans tes mots
j'aime cette vérité en partage de mots
en tendresse de verbes
ils ne sont pas sages
ils sont hommes
et s'évadent
il faut

camille a dit…

Etiez-vous de ces enfants solitaires et "pas sages" dans la marge des préaux ?

Etes-vous enfant de l'ange ?

Un beau texte.

virtuelle a dit…

magnifique texte ici déposé dont l'écho a fait frissonner la page froissée oubliée sur un pupitre resté à l'abandon dans ce préau de l'enfance.
Bien à vous

pierre a dit…

En marge des préaux
de mes petites et fraîches amies
douces étaient les lèvres

mémoire du silence a dit…

@ Pierre

Merci Pierre pour cette gueule d'ange, si beau cet enfant rebelle et surdoué... Le Rimbaud

en marge des préaux, je vois que le petit Pierre était déjà un séducteur, un romantique... belles amours enfantines.;-)



@ Jeanne ... "il faut" oui, il faut ... et pourtant !!!
merci Jeanne pour tout



@ Camille... Je suis, j'étais, je serai... et vous ?



@ Virtuelle... dans les pages froissées se cachent de grands secrets qui susurrent et restent bien gardés... merci beaucoup



Beaux jours à vous

Gérard Méry a dit…

Vouloir aller trop près de la vérité ou vouloir faire des choses qui sont hors de leur portée peut conduire les anges à se brûler les ailes...

O a dit…

" Dans la nuit, il se leva, emmena ses deux femmes, leurs servantes et ses onze fils et passa le gué du Yabboqw.
Après leur avoir fait traverser le torrent et avoir fait passer tout ce qui lui appartenait,
Jacob resta seul. Alors un homme lutta avec lui jusqu'à l'aube.
Quand l'adversaire vit qu'il n'arrivait pas à vaincre Jacob, il lui porta un coup à l'articulation de la hanche qui se démit pendant qu'il luttait avec lui.
Puis il dit à Jacob :- Laisse-moi partir, car le jour se lève.Mais Jacob répondit :- Je ne te laisserai pas aller avant que tu ne m'aies béni.
- Quel est ton nom ? demanda l'homme.- Jacob, répondit-il.
- Désormais, reprit l'autre, tu ne t'appelleras plus Jacob mais Israël (Il lutte avec Dieu), car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et tu as vaincu.
Jacob l'interrogea :- S'il te plaît, fais-moi connaître ton nom.- Pourquoi me demandes-tu mon nom ? lui répondit-il.Et il le bénit là.
Jacob nomma ce lieu Péniel (La face de Dieu) car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face et j'ai eu la vie sauvex.
Quand il eut passé le gué de Péniel, le soleil se leva. Jacob boitait de la hanche.
C'est pourquoi, jusqu'à ce jour, les Israélites ne mangent pas le muscle de la cuisse fixé à l'articulation de la hanche, car c'est là que Dieu avait frappé Jacob."

O a dit…

Livre de la Genèse, chapitre 32, 23-32

mémoire du silence a dit…

@ Gérard ... alors, prudence



@ O ... la lutte avec l'ange est éprouvante

Maïté/ Aliénor a dit…

Quel beau texte que je reviens lire de temps en temps.