vendredi 6 janvier 2012

Lecture

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« Aujourd’hui mon amour je suis trop fatigué pour t’écrire. Tu trouveras dans ton cœur une lettre de plusieurs pages, remplie de silence. Lis-la lentement. La lumière de ce jour l’a écrite en mon nom. Il n’y est question que de toi et de ce repos qui me vient chaque fois que je tourne mon visage vers ton visage, là-bas, à plusieurs centaines de kilomètres.

Il faudrait accomplir toutes choses et même les plus ordinaires, surtout les plus ordinaires – ouvrir une porte, écrire une lettre, tendre une main – avec le plus grand soin et l’attention la plus vive, comme si le sort du monde et le cours des étoiles en dépendaient, et d’ailleurs il est vrai que le sort du monde et le cours des étoiles en dépendent.

Nous envoyons notre ombre en ambassade, loin devant nous. Nous la regardons parler à d’autres ombres, leur serrer la main et parfois se battre avec elles. Nous regardons tout ça de loin et le réel n’entre que pour peu dans nos vies – dans l’effraction d’une joie ou d’une douleur auxquelles nous commençons par refuser de croire.

La certitude d’avoir été, un jour, une fois, aimé – c’est l’envol définitif du cœur dans la lumière. »


Christian Bobin / L’Éloignement du monde / Edts Lettres Vives … p. 19 à 21




(Encre : maria-d)

6 commentaires:

gazou a dit…

On a beau avoir déjà lu ses textes (à Christian Bobin,) c'est toujours comme si on les lisait pour la première fois, ils son ttoujours nouveaux;

ulysse a dit…

Merci Maria pour ce très beau texte. Oui il faut accomplir toutes choses même les plus ordinaires avec le plus grand soin.

el duende a dit…

Alors là Maria, pardonne ma franchise, je suis plus fan de ton encre que du discours de Bobin. Avoir l'idée de mettre quelques feuilles manuscrites sur un trou, c'est tout simplement génial. Bravo l'artiste !

pierre.b a dit…

Il y a des mots que l'on pose sur les lèvres des passantes...dans le creux des silences...dans les ombres de demain...sur les toits d'un jardin...Il y a des étoiles qui s'envolent quand on bat des mains...les rêves des couleurs inconnues...des portes ouvertes aux poignées de satin...et les lettres qu'on oublie sitôt nues...Il y a les pages qui se blessent dans les vagues...et qu'on froisse de douleur et d'orage..sous le cri des passants..et le cours des étoiles..

maria-d a dit…

@ Gazou ... je l'aime.


@ Ulysse ... surtout les plus ordinaires cher Ulysse


@ el duende ... il n'y a qu'une seule feuille emplie d'encre ... ;-))) le papier et l'encre ont tout fait...;-)))


@ pierre.b .... comme vos mots sonnent beau... merci et bonne année

en écho :


passants aux lèvres prose

dans le silence des mots éclos

dans les ombres de roses

et les jardins d’antan


mains gonflées d’étoiles

aux couleurs de rêves nus

poignets de satin grège

aux lettres de sang … crues


blessure de la vague

et pages que l’on froisse

dans les douleurs de l’orage

et les cris que l’on passe

dangrek a dit…

Il y a des textes qui font du bien, merci Maria !