samedi 8 juin 2013

La valse lente







Une fine pellicule de givre sur l’œil, comme un voile de consonnes et voyelles brisées, les mots se clivent. Tussore de laine et de fibres mêlées, paroles tombées dans le sablier. Silence des solives, la musique est intime. Les pensées se compriment et s’inscrivent dans le lit, la bouche salée. Envoûtante raison, balbutiement de la source au creux des ravines. 

Grains de sable et de sel sur la langue oubliés, le mot se griffe et s’enclave. La gorge brûle, feu des jours à l’odeur de souffre. Rivières scélérates à l’envers, à l’endroit, bouches ouvertes et mots fanés. La parole se déroule et glisse dans le cou, quintessence de la chair. 

Symphonie de lumière, de sons et de pétales, couture de la rime piquée au point de croix. Danse des lutines et fleurs des bois. Sortilèges revenus de nos livres d’enfance. Mots fleuris, images serties de pierres rouges et or. 

J’ouvre mes oreilles et j’entends leurs voix de cigale, leurs ailes souples, frottement du mystère et perle de culture, j’ouvre l’œil et je vois la brisure, la vague qui ruisselle sur la page gorgée d’encre et du sang des étoiles. Prières et songeries au coin d’un ciel bleu nuit. Je pose le point et la virgule au cœur de la phrase, une danse sans ligne au rythme de la vague. Morceaux de mots et de lettres et de phrases aux corps qui se touchent, aux bras qui se referment, aux doigts de perles vierges. 

La valse lente s’épuise et roule sur le sol, un mot au bord des lèvres, un mot qui se souvient, une auréole créole, une main au creux des reins, un refrain, un leitmotiv d’hier qui se glisse dans mes mains. L’or du temps. Sur le papier de sable il se pose, s’endort, sa bouche sur ma main.





(Peinture : Jean-Gilles Badaire)

10 commentaires:

O a dit…

Comme une étoffe de chair faisant vibrer les cordes de longs corps mystiques.
Un envoûtement. "Une auréole créole". Un texte superbe né d'entre vos mains.

jeanne a dit…

les voix comme une musique
tous les mots depuis la nuit ses temps
qui nous habillent
haillons et velours de soie

Alain Gojosso a dit…

J'aime comme les deux précédentes d'ailleurs.

D'accord avec O, "Auréole créole" est une très belle métaphore du vif vent et de son allant incessant... qui me parle.

"...Phéromone l’évidence en l’amour d’attirance
Eole créole l’indolence des mots son vif vent
Aux nuits des jours qu’en soufre s’expire haut
Cou aux cygnes turbulents de l’onde déchaînée..."


Merci pour ce beau partage et bien à vous.

ulysse a dit…

J'aime cette quête de l'or du temps

michel, à franquevaux. a dit…

Oreille ouverte et œil clément.
(ce clément m'interroge)

Patrick Lucas a dit…

il est des instants qui s'épuisent
à l'or du temps
aux mots effacés traînés
par le vent

Patrick Lucas a dit…

Pas toujours simple d'être clément...

(hommage)

J... a dit…


Moi aussi j'♥♥♥




La valse

Dans un flot de gaze et de soie,
Couples pâles, silencieux,
Ils tournent, et le parquet ploie,
Et vers le lustre qui flamboie
S'égarent demi-clos leurs yeux.

Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.

La valse molle cache en elle
Un languissant aveu d'amour.
L'âme y glisse en levant son aile :
C'est comme une fuite éternelle,
C'est comme un éternel retour.

Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.

Le jeune homme sent sa jeunesse,
Et la vierge dit : " Si j'aimais ? "
Et leurs lèvres se font sans cesse
La douce et fuyante promesse
D'un baiser qui ne vient jamais.

Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.

L'orchestre est las, les valses meurent,
Les flambeaux pâles ont décru,
Les miroirs se troublent et pleurent.
Les ténèbres seules demeurent,
Tous les couples ont disparu.

Je pense aux vieux rochers que j'ai vus en Bretagne,
Où la houle s'engouffre et tourne, jour et nuit,
Du même tournoîment que toujours accompagne
Le même bruit.

René-François SULLY PRUDHOMME

Kaïkan a dit…

J'écoute, te lis et me délecte Maria ...
Tellement en écho de toi ;-))

maria-d a dit…

@ O...

Merci O, pour toujours saisir l’insaisissable !!!



@ jeanne ...

La voix en compagnonnage toujours au plus intime de soi, jusque dans la nuit la plus obscure



@ Alain Gojosso...

Merci beaucoup pour cet écho en harmonie
;-)



@ ulysse ...

C’était en 1968, je crois (j’étais très jeune) , que j’ai entendu pour la première fois cette expression : « je cherche l’or du temps »… elle m’éblouit et ne m’a jamais quittée



@ michel, de franquevaux. …

Peut-être est-ce ICI que j’ai lu le texte le plus intelligent concernant cette affaire



@ Patrick Lucas ...

Ils s’épuisent certes mais c’est pour mieux renaitre et rebondir dans un ailleurs autre



@ J...

merci
♥♥♥
merci



@ Kaïkan ...

De cœur à cœur
Et d’âme à âme
A l’unisson

Je t’embrasse