jeudi 13 mai 2010

Vincent

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Il est épuisé d’avancer ainsi, sous le soleil, entre les blés… aucune issue… Il marche, la lumière l’écrase, les couleurs l’aveuglent… Le jaune tant de jaune, un passage, une ouverture, un tourbillon, un éclat… une fenêtre ouverte pour échapper au soleil… Tant de soleil… tant de soleil à retenir, à saisir, à emporter, à garder dans la main… à poser là, sur la toile…

Que va-t-il en faire … de ce désir qui brûle… ? …

La joue tendue vers la lumière, les yeux bridés par tant d’éclat… La nuit n’est plus la nuit, le soleil dévore l’obscurité, la nuit est claire… L’espoir luit dans ce bleu nocturne où chuchotent les étoiles… Les étoiles indiquent le chemin, le passage, la porte ouverte vers l’infini… l’infini de la toile…

Ses mains caressent les cailloux brûlants, son crâne éclate de tant de tumulte, de tant de chaud… Sa tête cherche l’ombre, le silence, la fraîcheur à l’intérieur des pierres… Il ne veut plus de ce combat avec le soleil, il veut se reposer, réchauffer son cœur gelé… Ses mains caressent sa poitrine anesthésiée… ses mains emplies d’un feu libérateur… Au loin les cloches carillonnent et noient le paysage à chaudes larmes…

Sur le sentier desséché il avance dans la poussière… là-bas… vers le rideau de larmes… toujours le vacarme, le tumulte… Il est plein de rêves et de chimères… Le vent est si fort qu’il atténue un peu son vacarme intérieur… L’air est chaud et lui lèche le visage, la poitrine, les jambes… lui lave les pieds, lui frictionne la peau et réchauffe son cœur… Toute sa douleur intérieure peu à peu se libère par les trouées de la peau, ses yeux se noient… les larmes coulent comme source de vie...

Il avance… encore et encore… caressé par le vent, étreint par le sable, envahi par tant de ciel, éreinté par la terre qui avance, qui avance… Le carillon approche et le berce, le porte, le soulève… par-delà tout le jaune… par-delà tout le vert… par-delà tout le bleu… par-delà sa folie du moment qui gratte et blesse la toile à coups de couteau, à coups de pinceau… rouge le sang, rouge la fureur dans sa tête… ici… avant… ...

La fin est proche, la porte vers l’ailleurs s’entrebâille à l’horizon… Les regrets, les rancunes, les pleurs et les rancœurs reviennent à l’assaut… rejaillis de la poche de l’oubli… Il les saisit et les lave dans l’eau de mer… Il revient et goûte ses souvenirs salés, sucrés… Il revient à la vie, il revient de loin… d’entre deux mondes, d'entre deux ciels… éthéré, il est de passage sur la terre…
…simplement...


(peinture : Le semeur au coucher du soleil, d'après Millet / Vincent Van Gogh)

4 commentaires:

pierre a dit…

De passage sur terre
et semer au vent
les graines du lendemain

Jean a dit…

Peinture de Van Gogh , texte sur le thème du semeur me rappelant un souvenir d'enfance où je me vois lisant le poème de Victor Hugo " Assis sous un portail ...

J'ai connu l'époque où les paysans semaient à la main , le geste du bras synchronisé avec le rythme des pas afin de semer régulièrement .
C'était beau , majestueux .

Anonyme a dit…

J'aime cet homme qui a eu le courage d'aller jusqu'au bout de lui-même
mais peut-être dirait-il comme Bram Van Velde : je ne pouvais pas faire autrement Gazou

colette a dit…

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Le galop de l'orage et des chevaux
et ... tes mots !