vendredi 4 novembre 2011

"Les rêveries vers l'enfance"

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« Solitude, ma mère, redites-moi ma vie. »
O. V. de L. Milosz


" Quand, dans la solitude, rêvant un peu longuement, nous allons loin du présent, revivre les temps de la première vie, plusieurs visages d’enfants viennent à notre rencontre. Nous fûmes plusieurs dans la vie essayée, dans notre vie primitive. C’est seulement par le récit des autres que nous avons connu notre unité. Sur le fil de notre histoire racontée par les autres, nous finissons, année par année, à nous ressembler. Nous amassons tous nos êtres autour de l’unité de notre nom.
___Mais la rêverie ne raconte pas. Ou, du moins, il est des rêveries si profondes, des rêveries qui nous aident à descendre si profondément en nous qu’elles nous débarrassent de notre histoire. Elles nous libèrent de notre nom. Elles nous rendent, ces solitudes d’aujourd’hui, aux solitudes premières. Ces solitudes premières, ces solitudes d’enfant, laissent, dans certaines âmes, des marques ineffaçables. Toute la vie est sensibilisée pour la rêverie poétique, pour une rêverie qui sait le prix de la solitude. L’enfance connait le malheur par les hommes. En la solitude, il peut détendre ses peines. L’enfant se sent fils du cosmos quand le monde humain lui laisse la paix. Et c’est ainsi que dans ses solitudes, dès qu’il est maître de ses rêveries, l’enfant connaît le bonheur de rêver qui sera plus tard le bonheur des poètes. Comment ne pas sentir qu’il y a communication entre notre solitude de rêveur et les solitudes de l’enfance ? Et ce n’est pas pour rien que, dans une rêverie tranquille, nous suivons souvent la pente qui nous rend à nos solitudes d’enfance.
___Laissons alors à la psychanalyse le soin de guérir les enfances malmenées, de guérir les puériles souffrances d’une enfance indurée qui opprime la psyché de tant d’adultes. Une tâche est ouverte à une poético-analyse qui nous aiderait à reconstituer en nous l’être des solitudes libératrices. La poético-analyse doit nous rendre tous les privilèges de l’imagination. La mémoire est un champ de ruines psychologiques, un bric-à-brac de souvenirs. Toute notre enfance est à réimaginer. En la réimaginant, nous avons chance de la retrouver dans la vie même de nos rêveries d’enfant solitaire.
___Dès lors, les thèses que nous voulons défendre en ce chapitre reviennent toutes à faire reconnaître la permanence, dans l’âme humaine, d’un noyau d’enfance, une enfance immobile mais toujours vivante, hors de l’histoire, cachée aux autres, déguisée en histoire quand elle est racontée, mais qui n’a d’être réel que dans ses instants d’illumination – autant dire dans les instants de son existence poétique.
___Quand il rêvait dans sa solitude, l’enfant connaissait une existence sans limite. Sa rêverie n’était pas simplement une rêverie de fuite. C’était une rêverie d’essor.
___Il est des rêveries d’enfance qui surgissent avec l’éclat d’un feu. Le poète retrouve l’enfance en la disant avec un verbe de feu :

" Verbe en feu. Je dirai ce que fut mon enfance.
On dénichait la lune rouge au fond des bois " *

___Un excès d’enfance est un germe de poème. On se moquerait d’un père qui pour l’amour de son enfant irait « décrocher la lune ». Mais le poète ne recule pas devant ce geste cosmique. Il sait, en son ardente mémoire, que c’est là un geste d’enfance. L’enfant sait bien que la lune, ce grand oiseau blond, a son nid quelque part dans la forêt.
___Ainsi, des images d’enfance, des images qu’un enfant a pu faire, des images qu’un poète nous dit qu’un enfant a faites sont pour nous des manifestations de l’enfance permanente. Ce sont là des images de la solitude. Elles disent la continuité des rêveries de la grande enfance et des rêveries de poète.
"



Gaston Bachelard /La poétique de la rêverie / PUF … p. 84, 85.

et pour écouter la sagesse de Bachelard, cliquez sur le lien en bas de page

*
Alain Bosquet / Premier Testament / Gallimard … p17






(Aquarelle : Ad Marginem / Paul Klee)

14 commentaires:

jeanne a dit…

"merci ma mère"
je suis cette femme qui marche
des rêves plein la tête

François a dit…

Ce beau texte de Bachelard dit parfaitement l'esprit et la couleur de votre blog : "une lune rouge au fond des bois", comme le dit aussi le tableau de Paul Klee.
Votre univers est à la couleur de votre enfance.
Elle dut être belle !
on le pressent ici.
merci pour le partage.

if6 a dit…

très beau texte... la permanence de l'a^me d'enfant en chacun de nous..
Merci Maria

pierre a dit…

Quel beau texte, l'auteur deviné dès les premiers mots !
Rien de plus vrai et, de plus, si simplement, si explicitement dit.

pierre.b a dit…

J'aime bien qu'on me rappelle que "la lune,ce grand oiseau blond, a son nid quelque part dans la forêt"...cela me rassure...On ne peut pas indéfiniment... rester en suspension dans l'espace...il faut pouvoir se poser..sinon les ailes se froissent...et les couleurs passent...Il me faut maintenant trouver ce "quelque part"...J'aimerais pouvoir surprendre la lune dans son sommeil...la voir s'étirer...poser ma main sur son coeur..sentir battre les rêves ..et les temps de l'enfance..

♥♥♥ a dit…

La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée1...

Ô bien-aimée.

L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...

Rêvons, c'est l'heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...

C'est l'heure exquise


Paul Verlaine

Bernard a dit…

Celle

féminine
amoureuse

mortempreinte de Terre

véhicule miroir

Es-Tu là?

En des endroits des cieux certain itinéraire...

A part ton long silence
Ta voix
d'une âme seule
a rougi de désir

.............Celui par dessus Tout

Maïté/ Aliénor a dit…

"Et c’est ainsi que dans ses solitudes, dès qu’il est maître de ses rêveries, l’enfant connaît le bonheur de rêver qui sera plus tard le bonheur des poètes. Comment ne pas sentir qu’il y a communication entre notre solitude de rêveur et les solitudes de l’enfance ? Et ce n’est pas pour rien que, dans une rêverie tranquille, nous suivons souvent la pente qui nous rend à nos solitudes d’enfance."
Je ne connaissais pas ce texte de Bachelard mais je le trouve ajusté aux contours de nos vies.
Merci Maria.
ad marginem, toujours.

Raymond Prunier a dit…

Très sensible à ce texte magnifique d'un de mes auteurs préférés.
Le ton général de votre blog, sa variété, votre hommage à Brassens, m'amène à vous conseiller le site: hht://jepeinslepassage.lenep.com/ où vous trouverez quantité de pages consacrées à Brassens. Merci. Raymond Prunier.

JJ DORIO a dit…

L'ENFANT AU JARDIN D'HIVER


Dans le jardin d'hiver, l'enfant tend sa menotte vers l'orange, narandj...naranja, celle qui fut aussi la pomme d'or des Hespérides.

Au bout d'un petit pont jeté sur l'innocence, il prend la pose d'enfance, dans la trouée des feuillages et des palmes de la serre.

Loin d'hiver, loin de froid et loin de craintes inutiles qui font crier les loups, les fous et Panurge, quand s'approchent les mots de gueule dégelés, voltigeant, volant, se mouvant...

L'enfant, alors, tend sa pomme d'innocence, une grâce qui le protège des méchantes paroles qui gèlent et glacent à la froideur de l'air...

Corinne a dit…

"Sur le fil de notre histoire racontée par les autres, nous finissons, année par année, à nous ressembler."
et à nous rassembler...

Au fil des rêves et des mots, l'enfant solitaire d'hier et celui d'aujourd'hui, toujours vivant au profond de nous, un chemin se fait, qui donne sens...

magnifique texte...

estourelle a dit…

"En la solitude, il peut détendre ses peines. L’enfant se sent fils du cosmos quand le monde humain lui laisse la paix."
Comme c'est vrai comme je le ressens infiniment et ce besoin de solitude qui revient en moi pour retrouver l'enfant le poète l'amoureux de la vie sauvage de la nature dans ce qu'elle a de "divin" ! Elle est faite de nous et nous sommes faits d'elle et l'enfant le sait depuis le commencement...et de toute éternité !

maria-d a dit…

A VOUS TOUS

MERCI BEAUCOUP POUR VOTRE VISITE
VOS MOTS, VOS IMPRESSIONS, VOTRE POESIE, VOTRE SENSIBILITE, VOTRE AMOUR, VOTRE AMITIE, VOTRE PARTAGE


MERCI BEAUCOUP ET QUE LA VIE VOUS SOIT DOUCE ET BELLE

Sucevita a dit…

Ad Marginem : le roman (sur le tableau...) http://kuttler.free.fr/