mardi 22 janvier 2013

Hommage


                    aujourd'hui, il aurait cent ans 





 LE   VOYAGE

Tu pars, tu vas quitter la durée de la neige
Pour un autre temps plus actif, on dit là-bas que l’Histoire s’accélère.
Pourra-t-elle produire une raison paisible, une femme née de la terre
Eclairée de pensée vivante par la voyance, la claire audience de son corps.
Tu es dans la saison de la simplicité, quand la vue baisse on ne voit que les plus simples lignes.
Tu entends moins ce qui se dit, tu comprends moins bien les réponses, mais la question devient plus forte.
Tu portes le toucher du temps, tu es blessé, tu es pressé par un feu lent mais insistant.
Il faut passer par la flamme des mutations, trouver l’or corporel
Qui fut cette maison de ton enfance dont tu as cru qu’on te chassait
Quand le corps des merveilles s’est dissipé dans les fumées de ta jeunesse.
Tu es resté devant la porte, qu’est-ce qu’une porte de paroles
Qui n’ouvre pas sur le vrai corps et cette matinée de neige
Sous le ciel au cœur argenté, comme on en voit dans le tableau des Flandres.
L’hiver alors était de paille dans l’écurie des chevaux brabançons, tu te souviens de la saison des granges
L’hiver, après la bogue acide, était couleur d’étain, il était riche de châtaignes
La pie était sur le gibet. Ah ! la terre chez nous en faisant des ruades et comme elle aimait renâcler
Sur le bord des étangs gelés, quand se posait la patineuse
Et que Bruegel glissait dans ses sabots d’enfant siffleur.
Ici le gel est long et la roche n’est jamais loin, ici tu es un étranger
Sauf dans le signe d’air et la folie de la lumière verticale.
Tu pars, tu vas longer la pente des rivières, tu passes des villages grèges
Rien n’est beau que la vigne nue, sous le vert des phosphates, rien n’est plus éclairé que le mur manuel.
Tu es dans le cimetière des vignerons, tu cherches entre les tombes une trace perdue
Le lac est dans la brume, il est couleur de perle, au milieu du nuage on voit deux larmes, on voit deux barques suspendues.
A l’ombre du muret, il reste un peu de neige et tu lis sur la pierre : Ma grâce te suffit. C’est ça que j’avais oublié.



Henry Bauchau  / Poésie complète / Actes Sud … p.184 et 185




(Photographie de couverture :  Le Poète  : "La Dictée de l'ange" , sculpture d'Hortense Damiron)

6 commentaires:

Bernard a dit…

Merci Maria, pour l'or corporel...

maria-d a dit…

;-)

Gérard Méry a dit…

je ne peux pas connaitre tous les belges

maria-d a dit…

Celui-ci en vaut la peine.

lutine a dit…

merci pour ce partage

Estourelle a dit…

hommage respect éblouissement
ainsi avec ces âmes là on peut se dire peut être la mort n'est pas une fin ?