dimanche 26 mai 2013

Lettre à la vie


© Dr



Madame la Vie,

Tu m'as été donnée par Sarah dans la douceur méditerranéenne des étés qui se prolongent en des automnes lumineux et des hivers qui ne font que passer, discrètement, furtivement, pour mieux faire éprouver la première tiédeur du printemps.
Tu as enchanté mon enfance par les senteurs les plus subtiles, les plus enivrantes, jasmin, vent salé, maïs grillé, parfums frivoles ; par toutes les saveurs douceâtres ou épicées, liqueurs au bouquet de rose, de réglisse, de grenade, pâtisseries mielleuses, moelleuses, fruits charnus et juteux. Tu m'as offert mes premiers troubles ingénus et pervers en mettant sur mon chemin des jeunes filles effrontées aux rires clairs sous un voile pudique, jambes brunes, bracelets aux chevilles et de belles matrones au regard prometteur de toutes les lascivités. Tu m'as fait connaître les fraternités enthousiastes de les affrontements innocents malgré le vacarme de la guerre que se faisaient les grands. Charmé mes oreilles par les bruits joyeux et les musiques de la rue, par les appels du muezzin, ou par la voix des radios tonitruantes qui invitaient à la danse ou à la mélancolie dans un monde de fatalisme souriant et de chaleur rafraîchissante.
Tu m'as permis de grandir dans une caverne d'Ali Baba remplie de livres, d'images, de poèmes, d'histoires et de légendes, traversée par des visiteurs passionnants : la librairie de Nessim, mon père.
Je suis né il y a soixante-sept ans. Mais je ne connais pas mon âge. A l'instar de ma ville natale qui contourne les siècles, garde ses secrets et ses souvenirs pour les faire resurgir quand bon lui semble, des millénaires plus tard, je vagabonde à travers le temps et l'espace à la poursuite d'un art de vivre, toujours réinventé, que tu m'as enseigné dès le berceau.
Maître et maîtresse, tu me guides et je t'étreins. J'attends tout, je ne demande rien. Ou le contraire.

Georges Moustaki


Lettre extraite de "Un chat d'Alexandrie (entretiens avec Marc Legras)" ...  aux éditions de Fallois / février 2002 ...p. 213 - 214


Sans la Nommer by Georges Moustaki on Grooveshark

5 commentaires:

Patrick Lucas a dit…

magnifique
merci

Estourelle a dit…

"Les amis de Georges étaient un peu anars
Ils marchaient au gros rouge et grattaient leurs guitares
Ils semblaient tous issus de la même famille
Timides et paillards et tendres avec les filles
Ils avaient vu la guerre ou étaient nés après
Et s'étaient retrouvés à Saint-Germain-des-Prés
Et s'il leur arrivait parfois de travailler
Personne n'aurait perdu sa vie pour la gagner"


Les amis de Georges sont toujours là!

Merci!

renaud a dit…

Maria, merci de faire vivre ces joyaux que sont Georges Moustaki,Henri Dutilleux, César Franck et l'immortel oiseau.
Les mémoires du silence et les mémoires de la musique sont en parfaite osmose.
Amitiés.Renaud.

Gérard Méry a dit…

http://www.youtube.com/watch?v=DbeRF--jQpM
j'aime !

Maïté/Aliénor a dit…

un bel hommage dans le choix de ce texte.