lundi 21 mars 2011

" Je lui souris d’amour " (*)

à L…., ami essentiel.




« Maintenant, je ne viens plus te voir que pour être plus sûre* du grand mystère que constitue encore l’absurde durée de ma vie, l’absurde durée d’une nuit.
Quand j’arrive toutes les barques s’en vont, l’orage recule devant elles. Une ondée délivre les fleurs obscures, leur éclat recommence et frappe de nouveau les murs de laine. (…)

Nous avons refusé de laisser entrer les spectateurs, car il n’y avait pas de spectacle. (…) Nous deux, j’insiste sur ces mots, car aux étapes de ces longs voyages que nous faisions séparément, je le sais maintenant, nous étions vraiment ensemble, nous étions vraiment, nous étions, nous. Ni toi, ni moi ne savions ajouter le temps qui nous avait séparés à ce temps pendant lequel nous étions réunis, ni toi, ni moi ne savions l’en soustraire.

Une ombre chacun, mais dans l’ombre nous l’oublions.

La lumière m’a pourtant donnée* de belles images des négatifs de nos rencontres. Je t’ai identifié* à des êtres dont seule la variété justifiait le nom, toujours le même, le tien, dont je voulais les nommer, des êtres que je transformais comme je te transformais, en pleine lumière, comme on transforme sa main en la mettant dans une autre. La neige même, qui fut derrière nous l’écran douloureux sur lequel les cristaux des serments fondaient, la neige même était masquée. Dans les cavernes terrestres, des plantes cristallisées cherchaient les décolletés de la sortie.
Ténèbres abyssales toutes tendues vers une confusion éblouissante, je ne m’apercevais pas que ton nom devenait illusoire, qu’il n’était plus que sur ma bouche et que, peu à peu, le visage des tentations apparaissait réel, entier, seul. C’est alors que je me retournais vers toi.

(…)

Que ne puis-je encore, comme au temps de ma jeunesse, me déclarer ton disciple, que ne puis-je encore convenir avec toi que le couteau et ce qu’il coupe sont bien accordés. Le piano et le silence, l’horizon et l’étendue. »


Paul Eluard / Nuits partagées / La Vie immédiate / Poésie Gallimard … p. 39. 40. 41 et 44


* Que Paul Eluard me pardonne, mais pour la circonstance j’ai inversé le féminin et le masculin du texte original… oui, que Paul Eluard me pardonne.

(*) Jean Genet / Notre-Dame-des-Fleurs.



(Peinture : Orphée / Gustave Moreau)

2 commentaires:

Gérard Méry a dit…

à L' (AMOUR)…., ami essentiel. ?

maria-d a dit…

si l'on veut...;-)

Beau jour Gérard